Cachez ce lobbying que je ne saurais voir

Table des matières

Mikaël Salson Décembre 2020

L'association française pour l'information scientifique (AFIS) est une association qui se donne notamment pour objectif d'« apporte[r] un éclairage sur des sujets de société qui sont traités de manière pseudo-scientifique et font l'objet de désinformation ou polémiques, notamment autour de la santé, des nouvelles technologies et de l'environnement ». Le rédacteur en chef de la revue de l'AFIS, Sciences et pseudo-sciences, affirmait dans Le Monde que les manipulations de la science sont autant dénoncées par l'association lorsqu'elles sont le fait d'écologistes que lorsqu'elles sont le fait d'industriels.

Pour savoir si cela se vérifie je vais analyser comment l'AFIS aborde la question des lobbys. Ce sujet rentre parfaitement dans l'objectif que s'est donné l'association et le rôle des lobbys dans la déformation de l'information scientifique est désormais très bien documenté [1,2,3]. On s'attendrait donc à ce que l'AFIS « apporte son éclairage » sur ces sujets, que les lobbys soient industriels ou non.

Je m'intéresse dans cet article aux lobbys que mentionne l'AFIS, la manière dont elle en parle et ceux qu'elle oublie à partir des articles qu'elle a choisi de mettre en libre accès sur son site internet jusqu'en septembre 2018 1.

Les lobbys dont parle l'AFIS

La revue Sciences et pseudo-sciences traitant naturellement des pseudo-sciences, il est peu surprenant de constater qu'une grosse moitié des articles parlant de lobbys portent sur celles-ci. Six articles concernent les pseudo-médecines, 6 la psychanalyse, 6 le créationnisme, 5 les mouvements anti-vaccins, 2 les « obscurantistes » ou « anti-sciences », 1 la maladie de Lyme chronique, 1 le 11 septembre et 1 autre la voyance. Ce qui nous amène à 28 articles sur ces sujets. Bien entendu la classification pourrait être discutée et, selon les frontières retenues, on pourrait obtenir de plus petites ou de plus grandes catégories.

Cinq autres articles minimisent, à un moment ou à un autre, l'importance des lobbys soit en renvoyant dos à dos des lobbys opposés, soit en ironisant sur l'importance des lobbys2. Un autre article critique l'idée que les lobbys aient une influence sur des scientifiques en présentant la critique de l'influence des lobbys sous un jour caricatural « Le chercheur est systématiquement suspecté, comme s’il ne pouvait pas être capable d’intégrité et d’autonomie » 3. Il est pourtant très bien documenté que le financement de la recherche académique par l'industrie influence les résultats de ces recherches.

Dix-huit autres articles abordent d'autres types de lobbying, voici ceux qui sont mentionnés :

Thème Nombre d'articles
anti-OGM 1
alcool 1
pétrolier 1
anti-ondes 2
nucléaire 2
tabac 4
lobby vert 7

Les lobbys évoqués concernent cette fois moins directement les préoccupations pseudo-scientifiques de l'AFIS mais plutôt les aspects, mis en évidence au début de cet article, de manipulation de la science, avec la présence de lobbys industriels ou d'organisations non gouvernementales.

La prépondérance du lobby vert (qui peut apparaître sous d'autres appellation comme « lobby bio » ou « lobby des marchands de peur ») en tête de classement peut néanmoins étonner : il est même évoqué une fois de plus que les pseudo-médecines et plus que le lobby du tabac. D'autre part les contours de ce lobby sont assez flous : cela peut relever à la fois d'ONG de défense de l'environnement ou d'entreprises vendant des produits bio.

Un intérêt démesuré de l'AFIS envers le « lobby vert »

L'AFIS présente le lobby vert comme ayant une oreille « favorable » ou « complaisante » des gouvernants4. Ce lobby est accusé de jouer avec les peurs, sous les termes de « marchands de peur » ou de « fabrique de la peur » 5. Il est aussi soupçonné d'être anti-scientifique en ayant « peu d'égards pour la science » 6 et d' accuser « [l]'industrie et [l]es sciences » de « tous nos malheurs »7. D'après une pétition que relaie l'AFIS ce lobby est aussi rendu coupable de « tromperies scientifiques » et de « présentations scientifiques falsifiées »8. D'autre part l'agriculture biologique est accusée de ne pas présenter d'avantages (cela relèverait d'« incantations » du lobby)9 . Dans un autre article, l'auteur affirme que les entreprises de l'agriculture biologique ont réussi à réautoriser un pesticide, l'huile de neem, grâce à un « lobbying intense », sans qu'il n'étaye la réalité de ce lobbying10.

En regard, le lobby pétrolier n'est évoqué que dans un seul article sur les changements climatiques qui date de 2000, en pointant très justement les « discours pseudo-scientifiques » des lobbys des énergies fossiles, ou des lobbys anti-régulation auxquels ils sont liés. Discours que l'association relaiera malheureusement quelques années plus tard, comme je l'avais relevé dans le précédent article portant sur l'AFIS [4].

Une telle différence de traitement entre le lobby vert et le lobby des énergies fossiles ne peut pas s'expliquer par l'impact plus important qu'aurait le premier sur les connaissances scientifiques. Il est établi que le lobbying du secteur pétrolier, ou plus largement de l'industrie, est beaucoup plus intense que celui des énergies renouvelables ou des associations environnementales. Aux États-Unis les premiers ont dépensé 10 fois plus en lobbying sur les questions climatiques que les seconds [5].

Concernant les autres industries, le lobby de l'alcool n'est évoqué qu'une seule fois (dans une phrase qui y associe le lobby du tabac et, d'autre part, les « obscurantistes »). Le lobby nucléaire est évoqué à deux reprises, il y a plus de 20 ans. Seul le lobby du tabac est évoqué plus largement. Une première fois rapidement (comme évoqué ci-dessus, avec le lobby de l'alcool et les « obscurantistes ») et à deux autres reprises pour souligner la désinformation qu'il a produit ou son impact sur les prises de décision politiques (« [les lobbys] font tout pour retarder ces mesures » ou « pour éviter que la vérité ne sorte ») 11. Le vocabulaire est ici beaucoup plus mesuré que lorsqu'il s'agissait de parler du lobby vert.

Retarder les mesures n'a été qu'un élément de la stratégie bien plus massive de l'industrie du tabac. Il est étonnant que l'AFIS ne pointe pas les autres aspects de la stratégie de Big Tobacco, pourtant bien plus documentés qu'une éventuelle influence d'un lobby vert.

Un article de recherche de 2009 synthétise différentes stratégies mises en œuvre par l'industrie du tabac [6], par exemple : l'utilisation de faux experts, le dénigrement de chercheurs, la sélection d'articles scientifiques allant dans le sens de l'industrie, la demande de preuves impossibles à obtenir. Mathias Girel, dans Science et territoires de l'ignorance [7], en ajoute quelques-unes : mettre l'accent sur ce qui est inconnu, sur d'autres causes ou sur le risque de biais de certains types d'études, faire croire qu'il n'y a rien de nouveau, ne présenter que l'aspect positif du tabagisme, redéfinir les termes (on ne parle alors plus d'addiction mais d'un choix ou d'un manque de volonté). Le financement de la recherche permet également à l'industrie d'avoir des études plus favorables (comme l'illustre le biais de financement déjà mentionné), mais aussi d'avoir un vivier d'experts mobilisables pour des procès. Financer des recherches contribue aussi à mettre le projecteur sur d'autres causes possibles (en testant par exemple différentes corrélations possibles avec le cancer du poumon).

Rappeler cela serait parfaitement rentré dans les objectifs, que l'association s'est fixés, de traiter de la désinformation autour des questions environnementales. De même, sur le climat, Supran et Oreskes [8] montrent comment ExxonMobil a trompé le public non scientifique en mettant en doute la réalité de l'origine humaine du réchauffement climatique et son importance, à l'inverse de ce qu'ExxonMobil reconnaissait en interne ou dans les articles scientifiques relus par les pairs. D'autre part, il est établi que les fondations Koch12 et ExxonMobil ont financé, aux USA, des think tanks conservateurs afin de semer le doute sur le réchauffement climatique [9]. Plus largement, les associations américaines niant les changements climatiques ont reçu un peu plus de 900 millions de dollars de fonds entre 2003 et 2010 de la part des industries fossiles ou de think tanks conservateurs. Les fondations Koch et ExxonMobil ont également financé Willie Soon, un chercheur niant l'origine humaine du réchauffement climatique, à hauteur de plus d'un million de dollars [10]. D'autre part, les organisations niant le réchauffement climatique, qui tiennent les discours les plus clivants, sont celles recevant des financements industriels [11]. Ce sont ces mêmes organisations qui ont véhiculé l'idée que plus de CO2 dans l'atmosphère était une bonne chose (« CO2 is good »)[11]. Plus récemment, de nouvelles données semblent montrer ques les cinq plus grosses compagnies pétrolières dépensent environ 200 millions de dollars par an en lobbying pour influencer le public et les politiques sur les questions de recours aux énergies fossiles.

Finalement, les deux seuls lobbys industriels mentionnés par l'AFIS depuis moins de 10 ans et de manière significative sont le lobby du tabac et le lobby vert, avec une place plus importante dévolue à ce dernier. Un tel biais en défaveur du lobby vert étonne. Je viens de rappeler que l'industrie du tabac ou des énergies fossiles ont eu un très gros impact sur la production de connaissances scientifiques et ont largement cherché à désinformer le public, dans des proportions sans commune mesure avec ce que peut faire un « lobby vert ».

Les lobbys qui manquent à l'appel

De la même manière que des scientifiques étudient la scientifique qui n'est pas faite (undone science), il est instructif de se pencher sur les sujets que l'AFIS n'a pas traités et, précisément, les lobbys qui sont absents de ses articles. Les lobbys de l'alimentation (Big Food), de l'industrie chimique (Big Chem) ou de l'industrie pharmaceutique (Big Pharma) font ainsi figure de grands absents, alors que, là aussi, les données existent pour montrer comment ces industries ont instrumentalisé les connaissances scientifiques. À titre d'exemple le rôle de l'ILSI (International Life Sciences Institute) n'est jamais mentionné par l'AFIS, un lobby au nom savant, financé par des industriels de l'agro-alimentaire ou des produits chimiques qui cherche à influencer les agences internationales (l'Organisation mondiale de la santé ou l'Agence européenne de sécurité des aliments) [12,13,3]. La société Mars a d'ailleurs quitté le lobby il y a quelques années, lui reprochant des études souvent critiquables. Seule fois où l'AFIS cite ce lobby : une note de lecture où l'ILSI est pudiquement présentée comme une instance internationale de sécurité des aliments.

À ma connaissance il n'est pas documenté que le « lobby vert » aurait une influence égale ou supérieure à celle d'autres lobbys industriels, comme l'ILSI par exemple, ni qu'il manipulerait davantage les données scientifiques ou que son impact sur la santé ou l'environnement serait supérieur, ni même qu'il aurait un quelconque impact. Par exemple il n'existe pas, à ma connaissance, de publication scientifique montrant que les recherches financées par le « lobby vert » seraient biaisées. En revanche de telles publications existent, et en nombre, par exemple pour le lobby du tabac, pharmaceutique, de l'agro-alimentaire ou des produits chimiques [14]. Les stratégies du doute de l'industrie du tabac, décrites plus haut, ne lui sont pas exclusives et s'appliquent tout autant à ces autres industries.

Notons néanmoins que l'AFIS a pu mentionner ces industries dans des articles sans parler du rôle de lobbying qu'elles jouent et donc sans utiliser le terme de lobby, ou ses dérivés. Dans ce cas de tels articles auraient échappé à mon analyse. S'il est possible que de tels articles existent, il est tout aussi possible que je sois passé à côté d'articles ne mentionnant pas explicitement le « lobby bio » ou le « lobby vert » et qu'ils aient donc tout autant échappé à mon filtre de recherche.

Le lobby des pesticides

Le rôle du lobby des pesticides sur les connaissances scientifiques n'est pas abordé par l'AFIS. Pourtant ce rôle est réel. Une longue enquête du New-York Times montre comment Syngenta a fait pression sur un chercheur pour qu'il s'intéresse aux effets du varroa, un parasite de l'abeille, plutôt qu'aux insecticides néonicotinoïdes. Cette stratégie, consistant à détourner le regard des causes embarassantes, est loin d'être isolée. Au contraire, les publications sur le varroa et les pathogènes de l'abeille sont bien plus fréquentes que celles portant sur les insecticides et leurs impacts sur l'abeille [15]. De la même manière que l'industrie du tabac s'est intéressée aux effets de la pollution de l'air intérieur ou de la génétique pour tenter d'expliquer l'origine des cancers du poumon, en fait causés par le tabagisme.

L'AFIS présente même une certaine perméabilité à ce lobby puisque depuis 2018, elle accueille dans son conseil d'administration André Fougeroux, ancien responsable biodiversité chez Syngenta. En 2017–2018, Jean-Jacques Hautefeuille était administrateur de l'AFIS. Il s'agit d'un betteravier et élu de la FDSEA qui déclarait notamment, Modification le 6/12/2020 pour retirer une citation attribuée à tort à M. Hautefeuille. Je m'excuse pour cette erreur à propos de l'étude Agrican qui analyse la santé des travailleurs et travailleuses agricoles « les agriculteurs sont en meilleure santé que la population générale ». Il oublie de ce fait (ce que rappellent les auteurs d'Agrican) qu'une telle comparaison n'a pas de sens en raison de l'effet travailleur sain. Il reprend ainsi la rhétorique d'industriels. L'AFIS a également publié un numéro sur les pesticides, dont une douzaine d'auteurs étaient en lien avec l'industrie [16].

J'ai par ailleurs eu l'occasion de relever les graves approximations de Fougeroux par rapport au déclin de la biodiversité, en particulier celle des insectes. Pour autant il a donné une conférence pour l'AFIS et a écrit plusieurs articles dans la revue de l'AFIS sur le sujet, bien qu'il ne soit pas écologue.

L'AFIS est d'ailleurs considérée par une cadre de Monsanto comme un « très bon site web à partager avec notre public francophone », d'après un mail interne [16], ce qui illustre que l'association est peu critique des pratiques de l'industrie des pesticides. Critiques qui ne manquent pourtant pas [17,18,19,20,21,22].

L'AFIS a peu évoqué la pratique du ghostwriting, une pratique initialement largement employée par l'industrie pharmaceutique et qui consiste à ce qu'une partie (au moins) des auteurs d'une étude ne corresponde pas aux auteurs réels [23,24]. Certains auteurs peuvent être ajoutés, en général moyennant finance, afin de bénéficier de leur prestige, pendant que d'autres peuvent être retirés, généralement afin d'éviter que des auteurs soient affiliés à l'industrie. Trois articles de l'AFIS évoquent rapidement la pratique dans le milieu médical13. Deux évoquent rapidement l'utilisation du ghostwriting par Monsanto, dont un qui disculpe la firme14. La pratique de Monsanto visant à publier dans un journal 5 articles qu'elle a financés et ghostwrités, à la suite de la classification du glyphosate comme cancérogène probable par le CIRC, ne sera pas rappelée ni le fait que l'éditeur du journal n'a pas souhaité retirer les études en dépit de ces manquements à l'éthique.

Quand l'AFIS emploie des stratégies du doute

L'AFIS va même minimiser le résultat de certaines recherches en ayant recours à des stratégies, dont Ulucanlar et al ont montré qu'elles ont été utilisées par l'industrie du tabac [25]. Ces stratégies consistent à singer la critique scientifique, à aménager à façon le corpus de preuves et à citer des preuves de manière trompeuse. Pratiques que met donc en œuvre l'AFIS avec certaines recherches.

Elle singe la critique scientifique lorsqu'elle va critiquer des études scientifiques publiées dans la littérature scientifique, comme s'il s'agissait d'une critique normale entre pairs, alors que la critique s'opère en dehors des canaux académiques, par des personnes sans compétence particulière dans le domaine visé. Par exemple, dans la revue de l'AFIS, un biologiste moléculaire critique une étude sur la toxicité d'un pesticide sur les abeilles ou un enseignant-chercheur en génie civil critique une étude épidémiologique sur la consommation d'aliments bio.

Dans le premier cas, le biologiste moléculaire critique la dose administrée ce qui correspond ici à la technique nommée par Ulucanlar et al « recherche de la perfection méthodologique ». Néanmoins la dose étant infime il est difficile d'obtenir précisément le résultat voulu. D'autre part les résultats de l'étude restent néanmoins intéressants, doivent être pris en compte et ne peuvent être rejetés sous des accusations gratuites de « course à l'audimat scientifique », comme le fait l'AFIS.

L'enseignant-chercheur en génie civil utilise du même artifice : pour prouver une causalité il faudrait un essai randomisé contrôlé. Là aussi c'est bien plus facile à dire qu'à faire, en particulier en nutrition. Surtout c'est oublier un peu rapidement les critères de Bradford Hill, établis pour définir une causalité grâce à divers éléments de preuve concordants. Pour appliquer ces critères, encore faudrait-il remettre en contexte l'étude, ce que ne fait pas l'enseignant-chercheur qui ne cite qu'une seule autre étude sur le sujet. Une autre technique employée, peut-être involontairement, est le manque de rigueur. L'auteur prétend que le premier quart (Q1) des consommateurs (ceux ne consommant (quasiment) pas bio) regroupe tous les comportements à risque. C'est erroné 15 J'avais eu l'occasion de détailler par ailleurs certaines mauvaises critiques qui avaient été faites à cette étude. De telles critiques n'ont d'ailleurs pas été formulées par les pairs de ces chercheurs et chercheuses dans la littérature scientifique. Un commentaire accompagnant l'article pointe certaines limites, mais les critiques pointées par l'enseignant-chercheur en génie civil, dans la revue de l'AFIS, sont hors de propos.

Autre stratégie du doute employée par l'AFIS : l'aménagement à façon de preuves. Un article publié par l'AFIS et rédigé par André Fougeroux, ancien de l'industrie des pesticides, aborde le sujet du « constat alarmiste du déclin des pollinisateurs ». Mais plutôt que d'aborder ce sujet, où les preuves ne manquent pas (avec notamment un rapport du conseil scientifique des académies européennes des sciences [26]), l'auteur le restreint immédiatement au sujet des abeilles domestiques. Néanmoins là aussi les preuves affluent. Une collaboration internationale d'une quinzaine de chercheurs a synthétisé les connaissances en 2015 [27], soit un an avant la publication de l'article sur le site de l'AFIS. Cette collaboration cite des dizaines d'études sur les effets sublétaux des néonicotinoïdes sur les abeilles domestiques. Pourtant André Fougeroux ne citera que quelques études peu conclusives dans l'article de l'AFIS. À la place, c'est le varroa, un parasite de l'abeille, qui est pointé du doigt. Or là aussi une synthèse des connaissances publiée début 2016 montre comment les néonicotinoïdes peuvent rendre les abeilles plus vulnérables à ce parasite [28]. L'auteur n'abordera pas ce sujet. Signalons qu'il a déposé un brevet pour une méthode visant à lutter contre le varroa.

Enfin dernière stratégie, encore mise en œuvre par notre ancien cadre de Syngenta : citer les preuves de manière trompeuse. Comme le mentionnent [16], il invente des citations en prétendant parler d'une étude sur le rôle des néonicotinoïdes sur la mortalité des abeilles. Il extrait en fait des citations du communiqué de presse trompeur, en expédiant la surmortalité en une phrase. Alors que la conclusion finale de l'étude pointe la nécessité de prendre en compte ces résultats dans l'évaluation des risques menées par les agences sanitaires, celle-ci a disparu de l'article de l'AFIS. Alors que l'étude est largement axée sur les néonicotinoïdes, il en utilise une autre, financée par l'industrie, qui n'a détecté un néonicotinoïde que dans une seule ruche sur 110, pour défendre l'idée que les pesticides n'ont pas d'effet sur la mortalité des abeilles (tout en oubliant l'étude précédemment mentionnée).

La seule fois où l'AFIS mentionnera un spécialiste français de ces stratégies du doute, le philosophe des sciences Mathias Girel, ce sera dans une note de lecture où le biologiste moléculaire, qui critiquait une étude de toxicologie sur les abeilles, attaque désormais les analyses du philosophe qui « atteignent très vite des limites ». L'Union Rationaliste, elle, fera de Mathias Girel un des coordinateurs d'un numéro de sa revue Raison Présente, portant sur la culture de l'ignorance [29]. Sujet ignoré par l'AFIS.

Changement climatique : quand l'AFIS va dans le sens des lobbys industriels

Sur la question climatique, les think tanks conservateurs ont mis en scène un dissensus scientifique, hors de toute réalité. Loin de critiquer de telles instrumentalisations de la science, l'AFIS a également joué ce rôle en imaginant des « débats » qui n'existaient pas dans la sphère scientifique. Dès 1989, dans un rapport publié par le Marshall Institute, un think-tank niant l'origine anthropique du réchauffement climatique, des scientifiques mettaient en avant le rôle du Soleil pour prétendre expliquer le réchauffement constaté [1]. De telles explications étaient réfutées dans le premier rapport du GIEC de 1990. Pourtant l'AFIS relaie la thèse du rôle du Soleil en 2010 en donnant la parole à des chercheurs dont les travaux scientifiques sur le sujet avaient déjà été vertement critiqués par des climatologues pour leurs approximations [30].

L'AFIS a utilisé de ce fait une stratégie des lobbys et think tanks niant le réchauffement climatique : celui de donner l'illusion qu'il existe un débat au sujet du réchauffement climatique. Le débat est en fait clos dans la communauté scientifique au moins depuis les années 1990 [31]. Or, présenter des positions contradictoires comme celles-ci contribue à faire douter les lecteurs et lectrices de l'existence d'un consensus scientifique sur le sujet [32,33].

Bien que l'AFIS ait, depuis, publié plusieurs articles pour relater l'état des connaissances sur le changement climatique, elle n'en a publié aucun sur les impacts du changement climatique, comme le reconnaît F.-M. Breon climatologue, membre de l'AFIS et désormais président. Cela déconnecte un phénomène, le réchauffement climatique par l'émission de gaz à effet de serre, de ses conséquences. Une telle déconnexion a également été observée par Jennifer Good dans les journaux étatsuniens, où les événements météorologiques extrêmes n'étaient pas reliés au changement climatique [34]. Good affirme que ne pas faire ce lien correspond à un modèle de propagande qui prive le public de l'opportunité de comprendre le monde réel.

Une critique à double tranchant

Lorsqu'une étude, précédemment mentionnée, montrant que des personnes consommant plus d'aliments bio ont moins de cancers, a été publiée, l'AFIS s'est précipitée pour relayer de nombreuses critiques à son sujet, en dépit de sources parfois contestables16. L'AFIS n'hésitera pas à relayer les critiques de l'ACSH17 (American Counsil on Science and Health) qui est une organisation financée par de nombreux industriels, dont les fabricants de pesticides Bayer et Syngenta, et déjà connue pour produire des écrits favorables à ses financeurs. Elle relaiera aussi le tweet d'un animateur télé qualifiant l'étude de « hasardeuse » dont « la recherche française ne sortira pas grandie ». L'AFIS produira également trois articles au sujet de cette étude sur l'effet de l'alimentation bio, dans sa revue. Comme décrit précédemment, un article de l'AFIS, écrit par un enseignant-chercheur en génie civil a pour objet de critiquer la méthodologie de l'étude. Qu'est-ce qui motive l'AFIS à réagir de la sorte à la publication d'une étude pourtant méthodologiquement assez solide et aux résultats intéressants 18 ? Ironiquement, le rédacteur en chef de la revue Sciences et pseudo-sciences, semblait faire preuve de moins de réserves méthodologiques face à une étude observationnelle sur la chloroquine… depuis retirée.

Par cette campagne, l'AFIS sème le doute sur les résultats de cette étude sur l'alimentation bio et regrette que des causes de décès plus avérés ne soient pas mieux mises en avant. Mais alors pourquoi l'AFIS ne multiplie-t-elle pas les articles sur les dizaines de milliers de décès par an imputables à la pollution de l'air en France 19? Ou sur l'adoption d'un régime alimentaire moins carné, moins riche en sels et sucres et plus riche en céréales, noix, fruits et légumes qui permettrait d'éviter environ 11 millions de morts par an dans le monde à l'horizon 2030 [35]? À l'opposé, l'AFIS ou des membres du comité de parrainage de l'AFIS, ont publié des articles relativisant ou niant ces informations20. Il se trouve donc que sur la pollution de l'air comme l'alimentation, l'AFIS semble avoir fait moins d'effort pour critiquer l'instrumentalisation de la science par certains lobbys industriels, que pour critiquer une seule étude montrant un moindre nombre de cancers chez les personnes consommant plus de bio. Il est apparemment des lobbys qui sont plus faciles à dénoncer que d'autres.

Très récemment l'AFIS a publié un texte adopté par son conseil d'administration pour défendre la présence d'un dirigeant de l'Inrae, institut public de recherche, à un colloque où la présence d'industriels est prépondérante. Elle affirme que « Il ne saurait y avoir de « bonnes » et de « mauvaises » parties prenantes ». Cette position résonne étrangement quand on la compare à ce texte de 2014 publié par l'AFIS, réagissant au souhait de l'agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) d'« accorder une plus grande place à la société » : « les autorités de l’UE l’ont contrainte [l'EFSA] à accueillir un éventail de « parties prenantes » non scientifiques, acceptables par les lobbyistes écologistes […] Cette invitation […] procède d’un relativisme dangereux, où les avis des experts risquent d’être faussés par des avis non scientifiques. ». L'AFIS a semble-t-il oublié qu'elle trouvait parfois certaines « parties prenantes » moins pertinentes que d'autres. Pour les discussions sur des sujets scientifiques et leurs impacts sur la population, l'AFIS préfère-t-elle la présence de sociétés à celle de la société ?

Un biais anti-écolo

Cette analyse des lobbys évoqués par l'AFIS montre un certain biais en défaveur de l'écologie et plus favorables aux industries (y compris vis-à-vis de l'industrie du tabac puisque de nombreuses stratégies du doute ne seront jamais mentionnées ni les journaux scientifiques qu'elle a infiltrés21). Afin de vérifier cela, nous pouvons rechercher combien de fois apparaissent les expressions marchands de peur (utilisée pour critiquer les prises de position de défense de l'environnement) ou marchands de doute (utilisée pour critiquer les prises de position, habituellement industrielles, cherchant à retarder des réglementations), ainsi que leurs dérivés

Le terme, et ses dérivés, marchands de peur est utilisé dans 15 articles différents : 2 portant sur les OGM22, 1 autre est d'ordre général23, 3 sur les ondes électro-magnétiques24, 3 portent sur l'alimentation25 et 6 sur les produits chimiques26. Le sujet des produits chimiques (a fortiori si on y ajoute les comptes sur les OGM) se démarque nettement, ce qui fait écho au résultat précédent où nous avons constaté que les critiques du lobby vert (et notamment de l'agriculture biologique) ont une place importante parmi les critiques portées par l'AFIS à propos de lobbys. De manière intéressante le dernier article ne portant pas sur les produits chimiques et utilisant cette expression, ou un dérivé, date de mai 2014 (alors que le corpus étudié s'arrête en septembre 2018), alors que pour les produits chimiques on trouve encore des articles en 2016 et 2018 usant de l'expression. Parmi les six articles portant sur les produits chimiques, le thème des pesticides revient 5 fois (où sont critiquées les suspicions des « marchands de peur » sur les effets des pesticides pour la santé), un autre article critique plus généralement les « marchands de peur » qui « cible[nt] les produits chimiques, toujours présentés comme des dangers pour l'homme ». Dans ces quinze articles, aucune référence scientifique ne vient définir le terme marchands de peur, ni appuyer l'existence d'un tel lobby, ni documenter les succès éventuels de ces marchands de peur. L'absence de preuve ne joue pas en faveur de la crédibilité de ce concept de « marchand de peur », pourtant largement relayé par l'association et ceci dès l'an 2000 (et peut-être même avant puisque peu d'articles anciens ont été mis en ligne).

Le terme marchands de doute, et ses dérivés, est quant à lui présent dans 2 articles. Dans un article, fabrique du doute est uniquement utilisé afin d'introduire le terme fabrique de la peur auquel il fait écho. L'autre occurrence correspond à un article sur le DDT, où l'ouvrage d'Oreskes et Conway, historiens des sciences, Les marchands de doute [1]est critiqué car il « n'apporte que peu de références pertinentes, se contentant d’affirmations, d’opinions, et de la reproduction de propos de protagonistes ». Réflexion étonnante de la part d'un ingénieur chez EDF, surtout lorsqu'on la compare à la manière dont l'expression marchands de peur est étayée par l'AFIS.

La différence dans l'utilisation des termes « marchands de peur » et « marchands de doute » montre à nouveau une sur-représentation des critiques envers les campagnes d'associations environnementales ou une sous-représentation des critiques envers les campagnes d'industriels. En outre ces critiques ne reposent pas sur des bases scientifiques bien documentées : autant l'existence des « marchands de doute » a été largement documentée, notamment dans l'ouvrage d'Oreskes et Conway mais pas seulement [38,39,40,7], l'union rationaliste a aussi dévolu un numéro de Raison présente en 2017 au sujet [29]. Autant celle des « marchands de peur » ne l'est pas ainsi que l'illustre l'absence de référence scientifique lorsque le terme est utilisé. Au contraire, ce terme semble être l'apanage des industriels pour décrédibiliser les messages portant sur la santé ou l'environnement. Par exemple l'ouvrage « Le marketing de la peur » est écrit par Serge Michels, dirigeant d'une agence de communication pour l'industrie agro-alimentaire, ce qui illustre à qui profite une telle dénonciation.

De même on peut être étonné de la remarque du rédacteur en chef Jean-Paul Krivine, dans l'encadré d'un article, qui regrette que les gouvernements prêtent une « oreille complaisante au lobbying des « marchands de peurs » ». Qu'en est-il de l'oreille complaisante au lobbying des marchands de doute ? Le rôle des marchands de doute pour nier ou relativiser le réchauffement climatique n'est il pas à « regretter » également ?

Cette analyse sur les termes marchands de peur et marchands de doute a permis de confirmer ce qui avait été observé sur la manière dont les lobbys sont abordés : l'AFIS a un certain tropisme vers la critique des positions écologistes, moins envers les positions antagonistes d'industriels. Cela objective également un ressenti qu'il est possible d'avoir à la lecture des productions de l'AFIS : une impression que les erreurs ou manipulations d'associations environnementales sont plus durement critiquées que celles d'industries, voire parfois critiquées sans aucun fondement (comme sur le DDT [16]). L'AFIS s'exprime plus sur le lobby vert que sur des lobbys industriels qui ont pourtant une bien plus grande importance. En outre elle fait la part belle à l'expression « marchands de peur », dont le concept n'est pas étayé scientifique, au détriment de « marchands de doute » qui, lui, est parfaitement étayé. Elle singe la critique scientifique pour rejeter certaines études scientifiques et relaie la communication de certains lobbys industriels en leur ouvrant ses colonnes.

Contactée le 27 octobre 2020 pour comprendre ce traitement qui semble aller à l'encontre de ce qu'affirmait au Monde son rédacteur en chef, l'association n'a pas voulu répondre.

Méthodologie

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L'AFIS mettant un certain nombre des articles de sa revue en libre-accès, sur son site internet, il est possible de faire une recherche systématique du terme lobby et de ses dérivés27 afin d'étudier les lobbys dont parle l'AFIS et la manière dont elle le fait. La recherche a été effectuée le 16 septembre 2018.

Le terme lobby et ses dérivés apparaissent une centaine de fois dans 75 articles de l'AFIS accessibles sur leur site internet28 Mais toutes les occurrences ne sont pas nécessairement pertinentes. D'autre part dans un même article peuvent être évoqués différents lobbys, c'est pourquoi dans la suite un même article peut être compté plusieurs fois.

Les occurrences du terme qui n'engagent pas l'AFIS (présence du terme dans un titre de référence, dans une citation, etc.) doivent être retirées afin de ne pendre en compte que la production propre de l'AFIS. Cela élimine 12 occurrences du terme, ce qui laisse 68 articles. Ces articles se distribuent assez uniformément depuis 2005, année à partir de laquelle au moins 20 articles étaient accessibles sur le site de l'AFIS. À partir de cette année-là, en moyenne 3,6 articles publiés par an (8%) faisaient mention d'un lobby.

Année Nombre d'articles publics dont parlant de lobby %
Indéterminée ou < 2000 206 12 5.8
2000 8 2 25.0
2001 10 0 0.0
2002 14 0 0.0
2003 10 2 20.0
2004 19 0 0.0
2005 27 1 3.7
2006 29 3 10.3
2007 32 0 0.0
2008 42 5 11.9
2009 62 6 9.7
2010 82 9 11.0
2011 57 1 1.8
2012 47 2 4.3
2013 42 8 19.0
2014 39 2 5.1
2015 37 3 8.1
2016 55 6 10.9
2017 50 4 8.0
2018 29 1 3.4

Certaines utilisations du terme restent trop générales pour identifier une prise de position vis-à-vis du lobbying ou d'identifier sur quoi celui-ci porte. Cette situation se retrouve dans 20 articles différents 29. Il reste donc 51 articles publiés par l'AFIS évoquant des lobbys spécifiques soit de manière positive, soit de manière négative, soit de manière à minimiser leur rôle. Ce sont ces articles qui sont évoqués plus haut. Le lobby vert n'est pas toujours appelé comme tel. Il est parfois appelé lobby écologiste ou lobby bio ou, une fois, lobby des marchands de peur. Il n'est pas certain que les mêmes acteurs soient visés à chaque fois puisqu'ils ne sont pas nécessairement désignés. Cela semble en tout cas regrouper une galaxie qui inclue des ONG de protection de l'environnement et, parfois, des industries de l'alimentation bio. Le « lobby anti-OGM » et le « lobby anti-ondes », qui sont mentionnés chacun dans un seul article, ont été comptés séparément car les auteurs y désignent un sujet précis et non un ensemble vague, comme avec « lobby vert ».

Concernant la recherche des articles mentionnant les marchands de peur et de doute, les dérivés pouvant être nombreux, seuls de peur, de la peur, de doute, du doute ont été recherchés puis un filtrage manuel a conservé les cas pertinents.

Vérification dans les thèmes relayés par l'AFIS

Afin de vérifier ce résultat, il est possible de mener une dernière analyse sur les grands thèmes étudiés par l'AFIS. Sur son site l'AFIS catégorise ses articles et les plus grands thèmes sont les OGM, l'astrologie, la psychanalyse, l'astrologie, les croyances, la désinformation, la santé, les pseudo-sciences et l'écologie. Bien entendu un même article peut se trouver dans plusieurs thèmes à la fois.

À l'aide d'un logiciel d'analyse logométrique30 il est possible de savoir quels sont les mots sur-représentés ou sous-représentés dans chaque thème. Bien entendu dans la plupart des cas les termes sont sur-représentés dans le thème car ils lui sont spécifiques. Mais une sur ou sous-représentation peut aussi se produire pour des termes qui pourraient convenir à tous les thèmes.

Ainsi des termes autour de la scientificité sont sous-représentés dans le thème écologie (« scientifique », « scientifiquement », « savant »). Néanmoins les termes « imposture », « charlatan » ou « escroc » y sont également sous-représentés et le terme « expert » y est sur-représenté. Étonnamment « intégriste » est sur-représenté dans le domaine de l'écologie, mais pas dans le domaine de la croyance.

Les résultats ne sont évidemment pas univoques. Néanmoins il est intéressant de noter que l'on a un déficit autour de certains termes spécifiques à la science. Les articles de ce thème auraient peut-être moins recours à des données ou sources scientifiques sérieuses (comme sur le réchauffement climatique où plusieurs articles niant le réchauffement climatique ont été publiés ou sur le DDT où plusieurs articles relayant une thèse farfelue ont aussi été publiés [4]). La sur-représentation d'« intégriste » dans cette thématique surprend également, surtout qu'il n'y a pas de telle sur-représentation dans le thème « croyance ». Là aussi cela laisse penser que, sur cette thématique, l'AFIS laisse parfois tomber le rationalisme pour tomber dans une critique acerbe et injustifiée.

Limites

Cette analyse ne porte pas sur la totalité des articles publiés par l'AFIS dans sa revue mais uniquement ceux diffusés sur son site internet. Ces articles ne sont pas nécessairement représentatifs de tous les articles de la revue. Néanmoins la publication de ces articles sur le site internet a fait l'objet d'un choix et donc l'analyse présentée ici est représentative de ce choix.

La recherche des articles ayant porté sur des mots clés pré-établis (bien que cherchant à être larges), il est tout à fait possible que des articles de l'AFIS parle de pratique de lobbying sans utiliser le terme. Dans ce cas de tels articles n'auront pas pu être inclus dans mon analyse.

Néanmoins soit l'utilisation de périphrases pour parler de lobbying est également répartie entre les différentes thématiques, ce qui ne changerait pas les conclusions que je présente. Soit cette utilisation varie selon les thématiques. Dans ce cas, pour que cela ait un impact sur l'importance des différentes thématiques, il faudrait que de telles périphrases soient moins utilisées pour parler du bio que pour parler, par exemple, du tabac. Une telle distorsion serait signifiante également et aboutirait à une conclusion proche de celle obtenue : le traitement du « lobby vert » est plus sévère que celui de gros lobbys industriels.

Questions envoyée à l'AFIS

Afin de m'assurer de ne pas commettre de contre-sens, de connaître des sources à certaines de leurs explications ou de comprendre leur façon de travailler, j'ai envoyé une liste de questions à l'AFIS le 27 octobre 2020. L'AFIS m'a indiqué qu'elle ne souhaitait pas répondre.

  1. Je constate une quinzaine de références à la notion de « marchands de peur ». Quelles publications scientifiques établissent la réalité du phénomène de « marchands de peur » et qui le définissent ? Que sait-on de l'impact de ces « marchands de peur » sur la santé, l'environnement ou l'économie ?
  2. Pourquoi parler davantage des « marchands de peur » que des « marchands de doute », alors qu'à ma connaissance l'existence et l'influence des seconds semblent plus solidement établis dans la littérature scientifique ?
  3. Pourquoi ne pas avoir évoqué l'agnotologie dans vos colonnes ? Par exemple en donnant la parole à Mathias Girel (ou à d'autres experts du domaine), comme l'a fait l'Union Rationaliste avec un numéro de Raison Présente sur le sujet.
  4. Pourquoi davantage parler du « lobby vert » que du lobbying d'autres industries (chimique, ou alimentaire par exemple) ? Considérez-vous que l'impact du premier sur les connaissances scientifiques ou sur nos vies est plus important que celui des seconds ? Sur quelle base établissez-vous cela ?
  5. Pourquoi certains de vos auteurs ont un lien avec l'industrie des pesticides mais — à ma connaissance — aucun de vos auteurs n'a de lien avec le « lobby vert » ?
  6. Même si ce n'est pas leur but, certains de vos articles défendent une position favorable à l'industrie chimique (par exemple en mettant en cause les résultats d'une étude portant sur les néonicotinoïdes). De manière similaire avez-vous des articles qui tiennent une position qui soit favorable au « lobby vert » ?
  7. Vous avez fait des articles sur l'importance de bien garder en tête les ordres de grandeur des décès en France. La pollution de l'air fait des dizaines de milliers de décès par an en France, pourquoi ne pas avoir fait plus d'articles à ce sujet, y compris pour dénoncer les manipulations de la science qui visaient à minimiser l'impact de cette forme de pollution ?

Bibliography

  1. Oreskes & Conway, Les marchands de doute: ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique, Le Pommier (2016).
  2. Foucart, La Fabrique du mensonge. Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger, Editions Gallimard (2014).
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  4. Salson, Le rationalisme n'est pas un automatisme (2017).
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  29. Girel & Leduc, La culture de l'ignorance, Union Rationaliste (2017).
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  40. Girel, Le doute à l'égard des sciences : l'ignorance produite et instrumentalisée ?, Actes Sud, in: Partager la science (pp. 45-66) (2013).

Conflits d'intérêt

Je possède le nombre minimal de parts dans ma banque coopérative. Dans le cadre du projet Vidjil, j'ai travaillé en 2015–2016 avec un ingénieur financé par la fondation EDF. J'ai signé une convention d'orateur non rémunéré dans le cadre de deux journées organisées par Novartis à Dieppe en 2016 sur l'onco-hématologie avec des médecins de différents CHU du nord de la France. La nuit d'hôtel et trois repas ont été pris en charge par Novartis. En janvier 2020 j'ai été invité à Montpellier par l'entreprise SeqOne qui a pris en charge le trajet et quelques repas. Au printemps 2020 j'ai effectué une mission d'expertise pour cette même entreprise. Les fonds provenant de cette mission d'expertise ont été attribués à mon laboratoire, qui seront utilisés pour mes recherches.

Notes de bas de page:

1

Pour plus d'information sur la méthodologie, voir la section dédiée

2

Par exemple « à propos des agriculteurs qui seraient les pantins du lobby agro-chimique, d'après les écolos » source; ou encore « L’explication par un complot et un lobbying des pétroliers est légère, et se heurte à un éventuel contre-complot des pro-nucléaires » source

3

« L’idée est répandue que la recherche française est assujettie à la pression des lobbys qui empêchent la vérité d’apparaître au grand jour en contrôlant les publications avec la complicité des institutions publiques. Le chercheur est systématiquement suspecté, comme s’il ne pouvait pas être capable d’intégrité et d’autonomie » source

4

« favorable », « complaisante » le terme « marchands de peur » est dans ce deuxième cas employé pour désigner le lobby en question

11

relaté dans un article entier sur l'industrie du tabac qui cache la vérité scientifique et plus marginalement dans cet article

12

Les industries Koch ont notamment des intérêts dans l'exploitation des énergies fossiles

13

En 2011, 2012 et 2016

14

Dans une critique d'Envoyé Spécial « Cette pratique qui constitue une atteinte à l’intégrité scientifique, doit être condamnée fermement » et des Décodeurs : « Difficile pour les auteurs de ces articles d’être plus transparents sur la participation du personnel de Monsanto et autres entreprises de la Glyphosate Task Force à leur travail. L’accusation de « ghostwriting » sur ces deux articles est donc très faible »

15

Il y a plus d'anciens fumeurs dans Q4 (le groupe consommant le plus bio) que dans Q1 et ce comportement est associé dans l'étude à un sur-risque de cancers (voir l'eTable 3, p. 9, de l'annexe de l'article de Baudry et al). En revanche, dans l'étude, le fait d'être actuellement fumeur n'est pas associé à un sur-risque de cancers. D'autre part, les personnes de Q4 font moins de sport que dans Q1, ce qui est un comportement à risque (24% des personnes de Q1 ont une activité physique supérieure à 1h contre 17% des personnes de Q4, voir la table 1 de l'article de Baudry et al). Néanmoins dans l'étude cette variable ne joue pas de rôle dans la survenue de cancers.

16

L'AFIS va publier 9 tweets rien que sur cette étude et en relayer 8 autres. C'est une activité assez inhabituelle pour le compte Twitter de l'association

20

Un article de l'AFIS tend à minimiser l'impact négatif de la consommation de viande sur la santé, dans le cadre d'un dossier sur l'alimentation publié en 2019. Le même année, Gérard Pascal membre du comité de parrainage de l'AFIS a également publié un article visant à réhabiliter la charcuterie. Jean de Kervasdoué, qui figure au comité de parrainage de l'AFIS, a minimisé à de nombreuses reprises les conséquences de la pollution de l'air (tribune sur Slate, interview sur Atlantico, tribune sur Connaissance des énergies, …) ou a relativisé les conséquences sur la santé de la consommation de viande (chronique au Point).

21

On citera par exemple le journal Regulatory Toxicology and Pharmacology qui en est un exemple frappant [36,37,3].

27

La recherche a uniquement porté sur les articles et dossiers publiés (les éditoriaux, chroniques, notes de lecture, par exemple, sont donc exclues). Tous les mots commençant par lobby ou lobbi ont été recherchés, indépendamment de leur casse. Ont également été recherchées différentes orthographes de think tanks (avec un s ou non à think ou à tank, avec ou sans - pour séparer les deux mots) ainsi que de groupes de réflexion ou groupes de pression.

28

Parmi ceux-là les dérivés de think-tank ont trois occurrences et groupes de réflexion ou ses dérivés n'apparaît pas.

29

Par exemple dans cet article : « Quant aux pouvoirs publics, il y a fort à parier qu'ils se contentent de suivre les médias, piochant les noms de leurs experts dans les journaux (et parmi les représentants de divers lobbies) plus souvent que dans les bases de données bibliographiques scientifiques » ou encore dans celui-là : « le regroupement des TSA dans les classifications internationales récentes n’a rien d’arbitraire, et n’est pas juste le résultat d’un lobbying de la part des associations de patients »